Sombre révélations [Partie 3]

Dans la maison, les lampes, à l’exception de celle la plus proche de la vieille femme s’étaient éteintes. Les enfants retenaient leur souffle. On pouvait entendre le moindre souffle d’air à travers les frondaisons des arbres alentours. Des bruissements par milliers témoignaient du mouvement des feuilles des arbres. Depuis plusieurs minutes maintenant la vieille femme s’était tue. Le silence féerique pouvait presque laisser à penser qu’elle s’était endormie. Mais il n’en était rien. Elle était en fait particulièrement attentive. Une étrange sensation lui avait fait dresser les oreilles. Ses yeux, réduits à de simples fentes lumineuses scrutaient les alentours. Après un temps impossible à déterminer, la tension se leva, et les yeux de la vieille femme se posèrent à nouveau sur l’assemblée des enfants qui regardaient le fauteuil les yeux écarquillés.


-« Alors les enfants……c’est assez effrayant pour vous ? Hummm ? »

-« Vite grand-mère raconte nous la suite….Qu’est il advenu de la petite fille ? Qui est-elle ? »

-« Ahhh chaque chose en son temps les enfants »

-« Continue Grand-mère continue vite… »

-« Très bien très bien….


La route vers Darnassus fut longue et laborieuse. LA fillette semblait impossible à réveiller. Plus qu’endormie, elle paraissait être dans un profond coma. Aucun des mouvements du tigre ne la faisait réagir. Sa tête, bien que maintenue par l’étrangère dodelinait plutôt brutalement à chaque enjambée du tigre. Sur les rivages, l’étrangère choisit plutôt de prendre le bateau. Plus discret, ce moyen lui permettrait de se fondre dans la masse des voyageurs qui se rendaient à Darnassus. Elle espérait passer totalement inaperçue. Elle espérait que les gardes ne lui poseraient pas de question. Et surtout que la fillette ne se réveillerait pas au mauvais moment. En effet, comment justifier la présence de cette enfant alors qu’elle était elle-même de toute évidence harnachée pour le combat.

Son plan se passa sans le moindre accroc. Et c’est sans le moindre du monde être inquiétée qu’elle put rentrer dans la puissante capitale des Elfes de la nuit. Après quelques nuits passées à l’auberge, l’étrangère rassembla toutes les économies que ses pérégrinations lui avaient permis de mettre de coté. C’est avec ce pécule qu’elle acheta une petite maison accolée à l’enclave cénarienne. Pendant de nombreux jours, des semaines même, elle répara la maison et en fit une demeure au confort rustique mais tout à fait acceptable.

Pendant tout ce temps, la fillette, bien que réveillée semblait agir comme une poupée brisée mal animée. Elle avait même du mal à s’alimenter d’elle-même. Et bien souvent, c’est une poupée de chiffon que l’étrangère prenait dans ses bras et forçait à manger, lavait et couchait. Après plusieurs semaines, enfin la maisonnette fut terminée. C’est alors que l’étrangère alla au temple; Là elle demanda à rencontrer la grande pretresse et se présenta comme une voyageuse qui désirait se reposer enfin et mettre le peu d’argent qu’elle avait à la disposition des autres. Et c’est ainsi que son orphelinat commença d’exister. La fillette était sa seule pensionnaire…pendant très longtemps ce fut le cas. Petit à petit, l’étrangère réappris à la fillette à manger, à s’habiller, c’est comme si tout ce qu’elle avait pu apprendre avait été oublié. Tout ce processus était même bien plus long qu’avec un nourrisson plus conventionnel. Il fallut plus de dix ans à la fillette pour pouvoir prononcer ses premiers mots. Tout le monde la prenait pour une idiote, mais ce n’était pas le cas. Son regard par moment flamboyait d’une intelligence aiguisée, précise comme le fil de la plus aiguisée des dagues, une intelligence presque malveillante d’intensité. Alors que l’éducation de la fillette occupait l’étrangère de très nombreuses heures tous les jours, son physique lui changeait normalement. La grâce encore brute de la fillette avait fait place à quelque chose ne nettement plus fin et mortel. Les jeux d’enfants au cours desquels elle se plaisait à faire montre de son agilité, les jeux innocents de cette enfance avaient fait place à des exercices très spéciaux. Les esquives étaient bien réelles car les lames qui fusaient vers la fillette l’étaient bien elles aussi…

Un jour l’étrangère lui montrait un exercice ou elle évitait les lourdes masses de mannequins articulés lancés à toute allure, un autre jour elle passait de passerelles en plates-formes, en se fiant juste à son sens du toucher et à son équilibre, afin de traverser une fosse remplie de pointes acérées. Rien ne faisait reculer la jeune fille. Toujours plus adroite, toujours plus affûtée….Mais seule toujours si seule. Aucun des enfants de son age ne voulait jouer avec elle. Elle paraît peu du reste. Et les jeux avec ceux de son age avaient tendance à toujours mas se terminer. Seuls les plus jeunes aimaient que la jeune fille joue avec eux. C’était au demeurant les seuls moments pendant lesquels la jeune fille faisait montre de retenue. Les jeunes enfants étaient toujours saufs avec elle. Mais les parents ne voyaient vraiment pas d’un bon œil que leurs enfants jouent avec « l’idiote » comme ils l’appelaient.

Un jour, l’étrangère appela la jeune fille à elle et lui parla comme elle le faisait d’habitude. Vu de l’extérieur cela pouvait paraître très dur, froid et sans amour, mais un œil exercé pouvait voir que cela était feint. L’étrangère forçait clairement sa dureté. Il semblait bien que sans cela, jamais elle n’ait pu continuer. Son trouble intérieur était de plus en plus visible. Elle était torturée, elle devait continuer….Sa survie en dépendait, et en même temps elle était de plus en plus réticente à soumettre la jeune fille au son terrible destin.


-« Je ne puis plus rien t’apprendre. Tu dois partir maintenant. Ta place n’est plus avec moi. Va voir Anishar dans l’enclave cénarienne. Il terminera ta formation. Je la surveillerai de loin, crois-moi sur parole. Sache aussi que tu échoue dans ton apprentissage, tu mourras. Je m’en assurerai personnellement. Je n’aurais pas la moindre hésitation. Pars maintenant. »


L’étrangère se retourna pour couper court à toute question ou effusion. Sa vision était troublée par les larmes qu’elle essayait à grand peine de retenir. Elle se mordait la lèvre au sang pour ne rien laisser paraître du terrible fardeau qu’elle s’imposait pour agir ainsi. C’est sans un mot que la jeune fille quittait sa demeure, sans même se retourner.

Pendant de nombreuses semaines, la jeune fille suivit scrupuleusement les enseignements de son nouveau maître. Plus que prometteuse elle était. Une tueuse froide elle était devenue. Efficace, chirurgicale, jamais retenue par les illusions de la moralité. C’est l’âme noircie de nombreux méfaits et les mains déjà couvertes de sang qu’elle retourna vers l’étrangère une fois que son maître lui eu annoncé qu’il n’avait plus rien à lui enseigner. En tout, presque vingt ans s’étaient écoulés depuis sa seconde naissance.


-« Alors vieille femme, es-tu satisfaite de mon apprentissage ? »

-« Il ne peut qu’en être ainsi. Sinon tu serais déjà morte et tu le sais bien. »

-« Qu’est ce qui m’attend maintenant ? »

-« Tu dois quitter le continent. J’ai consulté les oracles pour toi. Ton destin se situe maintenant dans les terres de l’Est. Cherche un endroit nommé Gnomerregan…..Là tu comprendras enfin qui tu es. »

-« Très bien. Il est donc l’heure de nous dire adieu vieille femme. »

-« C’est exact jeune fille, mais peut être simplement au revoir. Seule Elune saura le dire. »

Puis dans un murmure inaudible, alors que la jeune fille tournait des talons pour sortir de la demeure, la vieille femme ajouta « J’espère avoir été assez dure. J’espère avoir pu t’offrir par là la chance de survie que je n’aurais probablement jamais eue. »


Car l’étrangère était bien allée consulter les augures, mais il y avait de très nombreuses années de cela. Personne à part elle ne savait pourquoi elle y était allée, elle fuyait. La prêtresse d’Elune qui lui avait un jour parlé de son destin ne pouvait plus parler aujourd’hui. Personne n’avait jamais retrouvé son corps. Elle avait tout simplement disparue. Dans sa tête tournoyaient des images de terres par delà la terre, de machines improbables baignées d’une lueur verdâtre, d’horreurs cyclopéennes tapies dans les flammes d’un enfer bien réel, de folie et de rires déments entendus dans les méandres des donjons dans une terre inhospitalière. C’était tout cela qu’elle fuyait. La folie, la mort, la souffrance. Elle n’en voulait pas. Elle fuyait son destin, tout simplement.

Et son destin était en route malgré tout. Seulement c’était une jeune fille dont le passé était comme une page griffonnée, raturée et réécrite qui allait devoir l’assumer.
Et c’est à Gnomerregan que le destin de l’étrangère rattrapa la jeune fille. Sous la forme d’un rire débile et de couettes roses.


-« Alors les enfants ? Comment trouvez-vous mon histoire ? »

-« Difficile à croire Grand-mère. On n'est vraiment pas sur que tu n’aies pas tout inventé. »

-« Ah bon ? Et qu’est ce qui vous fait croire ça ? »

-« Et bien l’étrangère…et ben elle te ressemble…et puis l’orphelinat…ben il ressemble à ici. »

-« Oui et alors ? » Les yeux de la vieille femme se rétrécissaient à une simple fente lumineuse.

-« Et bien toi tu es gentille. Tu es Grand-mère Chèvrefeuille…….Jamais tu n’aurais fait quelque chose d’aussi moche hein Grand-mère ? »

-« Vous avez raison les enfants. J’ai tout inventé. Ahhh vous êtes des clients difficiles. Vous ne vous laissez pas raconter de sornettes. Quoi qu’il en soit, il est l’heure d’aller vous coucher…..Et pas de jérémiades. Au dodo tout le monde. »


Un des enfants, le plus âgé, après avoir aidé les plus petits à monter dans leurs lits s’approcha doucement de la vielle femme et lui demanda :


-« Dis-moi Grand-mère Chèvrefeuille, la petite fille de ton histoire…et bien je sais que c’est inventé et tout mais…enfin….si elle était réelle, elle s’appellerait comment ? »

Tout en regardant dans les ombres qui semblaient peupler les ombres de la nuit, Grand-mère Chèvrefeuille répondit :

-« Disons que si elle était réelle, elle s’appellerait Nairendi. Allez…au lit maintenant. »


Après avoir délicatement fermé la porte du dortoir, Grand-mère Chèvrefeuille revint dans la pièce principale qui n’était plus éclairée que par les braises rougeoyantes du feu mourrant. Sans la moindre surprise dans la voix, Grand-mère Chèvrefeuille s’adressa au fauteuil qui paraissait vide.


-« J’aurais du m’en douter. C’est toi qui à ouvert le coffre du grenier pour les enfants je me trompe ? »

Plus étrange encore que cette question fut le fait que le fauteuil répondit.

-« Non tu ne te trompe pas Grand-mère Chèvrefeuille. Une histoire vraiment très intéressante »

Le fauteuil tourna comme par enchantement. Dedans une forme athlétique et encapuchonnée regardait Grand-mère Chèvrefeuille. Des yeux rougeoyants la regardaient depuis les ombres.

-« J’imagine que tu m’as laissé te voir…Enfin te ressentir. Sans cela je pense que je ne me serai même pas rendu compte que ma gorge allait être tranchée dans mon sommeil. Tu sais, je ne suis pas surprise. J’attends ce moment depuis très longtemps. J’y suis préparée. Et au final ce n’est que justice. Je n’ai jamais eu le courage de faire face à mon destin. Et je me suis arrangé pour que mes souffrances soient assumées par quelqu’un d’autre. Frappe maintenant, assouvi ta juste vengeance. »

-« Tu as raison sur le fait que je t’ai laissé me voir, mais tu te trompe sur mes motivations. Je ne suis pas venu pour ça. Figure-toi que je me doutais de tout cela depuis très longtemps. Je n’ai fait que t’offrir ce soir la possibilité de soulager ta conscience. Aussi étrange que cela te paraisse, je ne t’en veux pas. Tu m’as donné la force de devenir ce que je suis aujourd’hui. Comment pourrais-je avoir envie de tuer la seule personne qui ait jamais été ma mère et mon père ? Je sais aujourd’hui qu’ils ont tragiquement disparus, mais je ne les ressens même plus. Je ne m’en souviens plus. Tu es la seule personne qui se soit jamais occupée de moi…et avec bonté encore, et oui, cela aussi, la force que tu as su me donner, déjà à l’époque je m’en rendais compte. »

Grand même Chèvrefeuille était abasourdie.

-« Tu veux dire que… »
-« Mais oui vieille folle…..Ton destin est maintenant passé sur les épaules de quelqu’un d’autre, et ce quelqu’un d’autre ne t’en veut pas, enfin pas trop dirons-nous. Pour autant que ma mémoire puisse se rappeler, tu es la chose la plus proche de parents que j’ai jamais eu. Tu n’as plus besoin de vivre dans la peur de ce jour. Mais je dois te laisser et partir dans l’ombre comme je suis venu. Car tout n’est pas encore fini, et pour le moment, ce n’est qu’en coup de vent que je puis me permettre de passer. »

Dans un bruissement d’ombre, la forme spectrale était partie.

-« Au revoir ma fille….Au revoir Nairendi…….Ainsi Elune semble m’avoir pardonné mon passe, toi aussi……Maintenant il faut encore que je me pardonne moi aussi. Soit prudente ma fille, et revient moi vivante. Car je sais que je ne supporterai pas de te perdre à nouveau. »


Pour la première fois depuis de très nombreuses années, Grand-mère Chèvrefeuille dormi cette fois sans faire de cauchemar.

[Clap clap !! superbes tes textes (parfois un peu trop compacts), mais très belle histoire !]

Toujours ausi beau
Un grand bravo.